ENTRETIEN – Souhaitant afficher leur unité, les ministres de l’Intérieur, Bruno Retailleau et de la Justice, Didier Migaud étaient à Marseille pour dévoiler leur plan de lutte contre le trafic de stupéfiants. Denis Jacob, ancien policier et fondateur du syndicat Alternative Police a répondu aux questions d’Epoch Times sur les mesures annoncées.
Epoch Times – Parmi les différentes mesures détaillées par les ministres, on trouve notamment la création d’un « nouveau parquet national » dédié à la criminalité organisée. Ce dernier serait inspiré du parquet national antiterroriste. Il « donnera plus de visibilité et d’efficacité aux équipes qui œuvrent contre la criminalité organisée au niveau national et que nous devons aider et renforcer », a expliqué Didier Migaud. Comment accueillez-vous la création de cette nouvelle institution ?
Denis Jacob – On ne peut être que favorable à tout ce qui peut améliorer, accélérer et faciliter le travail à la fois des policiers et des magistrats.
Malheureusement, si c’était aussi simple, le problème serait réglé depuis longtemps. Il faut donc des magistrats et des policiers dédiés au crime organisé. Mais encore une fois, il faut y mettre les moyens. Et ce n’est pas en démantelant la Police judiciaire (PJ), comme c’est le cas aujourd’hui que nous allons y arriver ! Je rappelle que la PJ travaille sur ce qu’on appelle le haut du spectre, c’est-à-dire tout ce qui est tête de réseau et autre, au niveau du narcotrafic.
Ce qui me gêne également avec ce nouveau parquet, c’est qu’on annonce sa création sans réellement détailler le contenu. Pour ma part, j’aimerais bien qu’il soit construit tout autour d’un service compétent pour travailler en amont, c’est-à-dire le travail policier, le travail d’enquête, pas seulement constitué de policiers.
Il aurait, par exemple, été pertinent de la part des ministres d’annoncer aussi la création d’une brigade rattachée à ce parquet, constituée de policiers, de gendarmes, mais aussi de douaniers, d’administrations – notamment l’administration fiscale.
C’est d’ailleurs peut-être ce qui est prévu in fine, mais on revient toujours au même débat : quel que soit le politique, l’annonce part d’un bon sentiment, mais dire qu’on va créer un parquet national de lutte contre le narcotrafic sans préciser comment il va être articulé et constitué me paraît peu opportun.
En réalité, des annonces sont faites pour traiter les conséquences du trafic de stupéfiants, mais pas la cause.
Par ailleurs, on ne mettra pas un terme au narcotrafic en s’en occupant seulement au niveau national. Nous devons nous attaquer au mal par la racine. Ce n’est pas un problème franco-français. Il faut dialoguer avec les pays exportateurs. Pour l’instant, nous ne traitons que la revente de la drogue, alors que la distribution, la production et la transformation des produits, sont majoritairement faites, selon le type de drogue, au Mexique, en Colombie et en Afghanistan.
Et c’est sans compter tous les réseaux constitués autour d’autres produits chimiques à l’instar du LSD, de l’ecstasy, des méthamphétamines ainsi que toutes les nouvelles drogues de synthèse qui arrivent aujourd’hui sur le marché.
Si nous nous n’allons pas au-delà du problème français, nous ne réglerons rien. Penchons-nous aussi sur une meilleure gestion de la surveillance et du contrôle des aéroports et des ports, notamment ceux du Havre et de Marseille. On sait que la majorité des produits stupéfiants transitent par ces lieux. Regardons également comment nous pouvons bloquer les routes clandestines de transport de la drogue. On sait qu’il existe des routes de ce type à travers les pays, depuis la production jusqu’à l’arrivée.
Mais où sont les accords bilatéraux qui ont été signés pour renforcer la lutte contre les produits stupéfiants ? Que fait la structure de l’ONU en charge de la lutte contre le trafic de drogue ? Je me le demande.
À mon sens, ces annonces franco-françaises vont seulement avoir des effets dans certains territoires, quelques points de deal, mais ne vont en rien stopper le narcotrafic. Et puis tant qu’on aura de la consommation, on aura du trafic de stupéfiants. C’est comme tout commerce, c’est le principe de l’offre et de la demande.